15ans 11mois et 6jours

J'avais eu envie d'ecrire un texte. Comme ça, ça m'a pris, comme un sursaut. J'ai eu envie d'ecrire un texte.
Alors j'ai pris mon plume, un Parker, avec Titi dessus, un Parker bien defonce qui appartenait à ma soeur quand elle avait mon age. J'ai pris mon Parker et une feuille de papier, une belle feuille blanche bien propre. J'ai ouvert mon Parker, j'ai foutu dedans une cartouche d'encre bleue, washable que disait le paquet. J'ai appuye comme une forcenee sur mon Parker pour y mettre la cartouche, je me sentais comme un assassin qui premedite son crime. Le crime d'ecrire.
J'ecris. C'est un moyen de parler, de dire. D'accuser. J'ecris, je degueule mes pensees, ça fait comme un frisson. J'en ai besoin, j'en ai plus besoin. Dans ces moments là, souvent je m'enferme dans ma chambre, souvent j'ai mal à la tete. Ce doivent etre mes idees qui s'etirent, mes sentiments qui gonflent et gonflent et prennent toute la place, ils m'ecartelent, ils n'ont plus de place, c'est le bordel dans mon crane. Alors j'ai mal. J'ai mal, comme souvent, je supporte, comme souvent, je dis rien. Je me tais. Mais y a un moment où se taire, c'est plus possible, ça suffit plus, faut autre chose. Alors j'ecris, je degobille. C'est comme un echappatoire, d'ecrire, une porte que je sais toujours ouverte, un endroit où je me sens bien. Assise, recroquevillee sur ma chaise, mes jambes enroulees l'une autour de l'autre, j'ecris dans une drole de posture, j'ecris comme une handicapee. Une handicapee de la parole.
Je parle pas, quand je parle et que mes idees bouillonnent, je pleure tout de suite, au final ce n'est meme plus drole pour celui qui ecoute. Qui juge. Je n'aime pas qu'on me voit pleurer, je n'aime pas qu'on me voit ecrire. Je suis plus nue que dans ma douche quand j'ecris. C'est l'envers de moi meme, une autre face, quelqu'un qui ne me ressemble pas mais dans lequel je me retrouve.
Je n'ecris pas pour qu'on me lise, j'ecris pour parler. C'est ma façon de m'exprimer. Je fais tomber les masques, en quelque sorte, voilà, ça c'est moi, je suis comme ça en vrai. Marrant hein ? Quand j'ecris, ça m'arrive de pleurer, mais c'est plus rare que quand je parle "en vrai". Quand j'ecris, ça me serre, ça me pince tres fort dans la gorge et derriere les yeux, ça fait mal, ça fait toujours mal. Mais pleurer c'est ridicule. Ça sert à rien, c'est moche en plus, quand on pleure on est tout rouge, avec le nez tout rouge et les yeux gonfles, on parle bizarre, ça chevrote de partout, avec les levres qui tremblent et tout et tout, ça devient drole pour celui qui regarde au final. J'ai pas envie d'etre drole.
J'aime pas qu'on me lise parce que j'aime pas. La personne qui me lit elle doit tout savoir de moi, sinon elle comprend pas, elle leve les sourcils et se dit que je suis vachement plus barree que ce qu'elle pensait. Je me devoile quand j'ecris, et souvent, c'est pas beau à voir.

Pierre Desproges est notre Maitre à Tous. Et pis c'est tout.